Seniors Polytype    
    Antonin Hejda    
    Extrait de La Liberté du 13.12.2012 polysenior    
    antonin hejda    
    Antonin Hejda, le sourire facétieux du statisticien méticuleux. Vincent Murith    
   

L’athlétisme l’a rendu libre

antonin hejda • En 1968, ce statisticien hors pair s’enfuit de Tchécoslovaquie pour venir respirer la liberté en Suisse. C’est lui le lauréat du Prix du Mérite 2012. Rencontre.

Vlasim, une bourgade de 10000 habitants à 60km au sud de Prague. Fils d’une mère institutrice et d’un père ouvrier, le jeune Antonin tape dans un ballon de foot comme tous les gamins de la terre. Nous sommes en 1958, le môme a 13 ans et Vlasim est encore en Tchécoslovaquie. «Comme je courais plus vite que les autres, un entraîneur d’athlétisme m’a envoyé à un cross-country. J’ai gagné les éliminatoires du «district», puis terminé 2e au niveau «cantonal». Pourquoi pas l’athlétisme, me suis-je alors dit.» Oui, pourquoi pas après tout? Ce qu’Antonin Hedja ignorait, c’est que l’athlétisme allait modifier son destin.

Nous voilà en 1964. L’heure du service militaire approche. «A l’époque, je valais 50’’9 sur 400m et 1’55’’1 sur 800m. C’était pas mal pour un gars de 19 ans. Avec ça, je pouvais presque entrer au Dukla Prague ou, mieux encore, à l’Etoile Rouge, les deux clubs de l’armée. Cela m’aurait permis de faire mon service militaire comme sportif d’élite.» Alors, Antonin Hejda multiplie les entraînements, à 5h du matin, juste avant de partir au boulot. «Je me suis trop entraîné et le tendon d’Achille de mon pied droit a lâché», se souvient-il. Il est opéré. Mal. Sa carrière de coureur n’ira pas plus loin. Au mieux, une seconde opération effectuée en 1967 améliorera un peu la situation. Suffisamment pour se mettre gentiment aux épreuves sur plus longues distances.

La fuite

1967, c’est l’année du mariage avec Eva. Celle, aussi, de la venue du Valaisan Noël Tamini qui, cinq ans plus tard, allait lancer la fameuse revue «Spiridon» avec son pote Yves Jeannotat. «Nous avons rencontré Tamini à Kosice où il était venu disputer le plus vieux marathon d’Europe. Parmi les organisateurs, personne ne parlait français. C’est Eva, qui avait fait des études de langue, qui a servi d’interprète», se remémore Antonin. Le lien avec l’Ouest est créé. L’année suivante, Noël Tamini et Yves Jeannotat invitent Antonin Hejda à participer au Morat-Fribourg. Le 8 mars 1969, les Hejda passent à l’acte: ils plaquent tout et franchissent le Rideau de fer sans retour possible. Dans leurs bagages, ils emportent leur bébé de 6 mois.

Ceux qui ont mal fini

Que serait devenue la famille Hejda sans l’athlétisme, le sport qui lui a donné la liberté? Dans l’appartement que le couple occupe à Fribourg, dans le quartier de Beaumont, Antonin Hejda n’est pas surpris par la question. Lui-même se l’est souvent posée. «Je serais certainement devenu comme mes collègues d’usine qui ont, pour la plupart, mal fini à cause de problèmes de santé ou d’alcoolisme. J’aurais dû entrer au Parti communiste afin de bénéficier de quelques avantages liés au sport. Pour le reste, difficile à dire… Peut-être aurions-nous tout de même cherché un moyen de passer à l’Ouest.»

Ce qui est certain, c’est que les Hejda ont dû filer sans avertir leurs familles. «On ne pouvait pas prendre le risque que la nouvelle se sache», justifie Antonin. «Mais il y a eu des représailles. Joueur de handball, le frère d’Eva n’a plus reçu de visas pour voyager à l’étranger. Mon père a, lui, perdu son travail. Mais il m’a toujours dit qu’on avait bien fait de partir.»

Antonin reverra ses parents pour la première fois en 1976, sept ans après sa fuite. Ce sera en Suisse. «La première fois qu’on a pu retourner en Tchécoslovaquie, c’était en 1990, après la chute au Mur de Berlin. Les douaniers nous ont un peu regardés de travers au passage de la frontière…», se marre Antonin Hejda, bourgeois de Fribourg depuis 1982. I

«Statisticien? Il faut adorer les chiffres»

Coureur, entraîneur, organisateur, juge-arbitre, métreur (celui qui mesure les parcours): en athlétisme, Antonin Hejda a fait, ou fait encore, tout ce qui est possible de faire. Mais ce qui lui colle le plus à la peau, ce sont les statistiques. Et, dans ce domaine, sa réputation n’est plus à faire et va bien au-delà de nos frontières. Mais comment devient-on statisticien? «Il faut être mordu d’athlétisme et adorer les chiffres», rigole-t-il. «J’ai commencé à faire les statistiques lorsque j’étais blessé. C’était pour mon club, le CSKABudejovice. Au départ, je voulais comparer mes performances avec celles d’autres coureurs. J’ai même recherché des résultats dans les archives. Il m’arrive encore de temps à autre d’aller sur le site internet du club de Budejovice où on trouve toujours le travail que j’avais effectué dans les années soixante.»

En Suisse, Antonin Hejda a poursuivi le même inlassable labeur. Sitôt installé, il intégrait le groupuscule des statisticiens helvétiques, fort de quatre personnes. «En 1973, on a sorti notre premier annuaire alors qu’auparavant les statistiques paraissaient dans le fascicule «Sport». L’année précédente, j’étais devenu le statisticien de la revue «Spiridon» qui venait d’être lancée. Dans le canton de Fribourg, il n’y avait encore rien. J’ai proposé à la Fédération fribourgeoise d’éditer des statistiques avec les meilleures perfomances cantonales de l’histoire. J’ai bien dû aller vingt ou trente fois consulter les archives de «La Liberté»… Depuis 1976, je m’occupe aussi des statistiques suisses pour l’AFTS(The Internatiol Track & Field Annual, ndlr). On est deux statisticiens suisses à le faire et je suis chargé des performances masculines.»

Le statisticien, n’est-ce pas cet étrange personnage qui possède un ordinateur à la place du cerveau et qui crache des chiffres au lieu de paroles? «Oui, un peu…», admet Antonin Hejda. «Je raconte toujours cette anecdote qui se passe en 1967 à Düsseldorf, lors de la 1re édition de la Coupe continentale, une épreuve qui n’existe plus. Il y avait là-bas un statisticien tchèque et un coureur suisse de 800m qui était Jacky Delapierre, l’actuel organisateur d’Athletissima. Je revois encore la tête de Delapierre lorsque le statisticien lui a lancé: «Delapierre, celui qui a couru le 800m en 1’48’’96 tel jour à tel endroit?» Delapierre était médusé…» Antonin Hejda ne boude pas son plaisir, ne se privant pas lui aussi de se livrer à ses petits tours de passe-passe chiffrés avec des inconnus rencontrés autour d’un stade. «Ah, vous êtes de la parenté de tel athlète? Celui qui a couru tant ou lancé tant telle année? J’aime bien voir leur étonnement…» Menus plaisirs pour statisticien facétieux.

Plus sérieusement, Antonin Hejda a assisté à l’évolution de son sport au fil des années. «A sa dégradation plutôt», corrige-til. «Dans le canton de Fribourg, on travaille très bien avec la jeunesse. Ensuite, il n’y a plus de suivi parce qu’on manque d’entraîneurs et parce que les athlètes abandonnent en cours de route un sport très dur. Et je ne parle même pas au niveau national où il n’y a presque plus d’athlètes de pointe. Quant au niveau international, il me semble qu’on a atteint les limites du corps humain dans plusieurs disciplines, notamment dans les disciplines techniques. En plus, le dopage rend suspects tous les records mondiaux chez les femmes et la plupart chez les hommes, à l’exception, peut-être, de ceux obtenus par les coureurs africains. Quant au sprint… Joker!»

Qu’à cela ne tienne. Antonin Hejda sera, avec la bénédiction de sa femme, toujours statisticien à l’avenir. Qu’importe ses 67 ans. «Il est tout le temps fourré dans ses statistiques», glisse Eva. Antonin rectifie: «Quand je travaillais encore à Polytype, je consacrais deux heures chaque soir aux statistiques en rentrant du boulot.» Et aujourd’hui? «En moyenne, entre trois et quatre heures chaque jour…» Cela valait bien le Prix du Mérite 2012. stefano lurati

   
    Extrait de La Liberté du 04.09.2007 polysenior    
   

Antonin Hejda, un dieu des stat

athlétisme • Portrait ? Sans lui, l'athlétisme serait une approximation. Cela fait bientôt quarante ans qu'Antonin Hejda a franchi le rideau de fer pour devenir un statisticien infaillible.

Cet homme jovial cache un lourd passé et lorsqu'un rideau de fer coupait l'Europe, sa tête fut mise à prix: Antonin Hejda fut condamné à huit mois de prison ferme pour avoir quitté la Tchécoslovaquie le 8 mars 1969.Antonin Hejda, l'infaillible statisticien des fédérations suisse et fribourgeoise d'athlétisme fut un dissident et un transfuge. En 1968, c'est le Printemps de Prague, aussitôt réprimé par les Soviétiques. L'espace de quelques mois, les frontières s'ouvrent: Antonin Hejda qui est alors un bon coureur de 800 m et de 400 m est invité à venir disputer le Morat-Fribourg. Il faut se souvenir du climat. En ce temps, la course à pied est une variante du «flower power»: courons les uns les autres, dans l'harmonie du genre humain. Un magazine incarne cette idée, «Spiridon», fondé par le Valaisan Noël Tamini, qui devient bientôt le manifeste des coureurs (on ne disait pas joggeur).

«Vivre libres»

«En 1968, raconte Antonin Hejda, j'ai rencontré l'un des meilleurs coureurs suisses, Jean-Pierre Spengler. Il voulait disputer son premier marathon incognito et il avait choisi de venir à Prague. Nous avons fraternisé.» Les militants de «Spiridon», Noël Tamini et Yves Jeannotat, envoient au jeune Hejda, 23 ans, un carton d'invitation pour le premier dimanche d'octobre 1968. «Je me suis retrouvé au départ de Morat-Fribourg. Pour moi, c'était quelque chose de fabuleux! J'étais un coureur de demi-fond et quand je participais à un cross, en Tchécoslovaquie, nous étions une vingtaine à courir. Là, à Morat, nous étions près de 1300 dans la rue. Quand je suis rentré en Tchécoslovaquie, je racontais à tout le monde qu'en Suisse, il y avait des fleurs aux fenêtres. Ce que j'avais vu était inimaginable pour un Tchèque.»En ce temps-là, Antonin Hejda valait - soyons précis, car nous avons affaire à un statisticien - 1'55'1 sur 800 m et 50'9 sur 400 m. Les 16,4 km de l'ancien parcours sont un choc pour lui: «Je venais de la piste, je ne courais jamais sur des distances pareilles. Tout le monde me parlait de l'horrible montée, mais franchement, j'ai passé La Sonnaz sans m'en apercevoir.» Antonin Hejda termine en 1 h 02, un peu derrière l'un de ses compatriotes venu, selon lui, «pour le surveiller».Fils d'une institutrice et d'un ouvrier qui travaillait dans une usine de munitions, Antonin Hejda grandit dans une famille anticommuniste: «Je l'ai appris plus tard, mais mes parents, peu après la guerre, quand la Tchécoslovaquie est devenue communiste, avait songé à émigrer en Allemagne. Ils ne l'ont pas fait...» En 1969, il est marié à Eva et père d'un petit Daniel. Il décide pourtant de quitter la Tchécoslovaquie, de passer à l'Ouest: «Nous l'avons fait par idéologie. Nous voulions vivre libres», dit-il simplement. Le billet d'avion Prague-Zurich sera un aller simple: le 8 mars, il débarque à Kloten avec sa petite famille. Derrière lui, le rideau est retombé. Devant lui, il y a la fraternité des coureurs à pied: Spengler, Tamini, Jeannotat l'accueillent. «Ils nous ont chouchoutés», se souvient-il.

«A la mauvaise époque»

«Franchement, je n'ai jamais regretté ce choix. Je n'ai jamais été nostalgique de la Tchécoslovaquie.» Le samedi, il est en Suisse. Le lundi, il a trouvé du travail. Le mardi, il commence à bosser: «Tout le monde nous proposait du travail!» Une entreprise de Muttenz l'engage, puis le promoteur Marcel Schmid invite Eva à passer quelques semaines de vacances à Fribourg. Au mois d'avril 1969, Antonin Hejda s'installe à Fribourg, dont il sera fait bourgeois en 1982. Cela fait bientôt 40 ans qu'il travaille à Polytype.La course ignore les frontières: dans les années septante, Antonin Hejda se fond dans le peloton, alors redoutable, des athlètes fribourgeois. En 1973, il se met aux longues distances, avec une prédilection pour le marathon: «J'ai couru à la mauvaise époque, sourit-il. Il y avait Jean-Pierre Berset (2 h 23), Stéphane Gmünder (2 h 27) ou bien Guy Thomet (2 h 27 aussi)...» Les statisticiens ont ce malheur qu'ils peuvent se confronter à l'histoire. «A Fribourg, je suis peut-être le 15e performer de toute l'histoire, avec un temps de 2 h 32. Sur 10 000, je suis peut-être 35e avec 32'05.»Enfant d'un pays disséminé au vent du XXe siècle, Suisse depuis 1982, Antonin Hejda n'a finalement qu'une seule patrie: l'athlétisme, qu'il a servi sans faiblir. L'athlétisme qui reconnaîtra son dévouement: en 2005, la Fédération suisse le hissera au rang de membre d'honneur. Antonin Hejda est statisticien bien sûr, mais aussi entraîneur, juge-arbitre, organisateur, et métreur. Métreur? «Oui, je vais mesurer les parcours des courses hors stade. Par exemple, nous avons mesuré le parcours du marathon de Jussy: il y avait 148 m de trop sur le semi-marathon. Et ça, depuis 27 ans...»Sans Antonin Hejda, l'athlétisme ne serait qu'une approximation. Autant dire qu'il ne serait pas. I jean ammann

   
         
    Haut de la page    
    Polysenior René Andrey en Verdau xuafleb